Commentaires sur le fichier EDVIGE

Le décret du 27 juin 2008 (2008-632) paru le 1er juillet 2008 au Journal Officiel, crée un fichier qui a vocation à centraliser les informations détenues par les deux anciennes institutions.

L’article 1 du décret dispose que « Le ministre de l’intérieur est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé et des fichiers de données à caractère personnel intitulés EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) ayant pour finalités, en vue d’informer le Gouvernement et les représentants de l’Etat dans les départements et collectivités :

 

1. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces informations soient nécessaires au Gouvernement ou à ses représentants pour l’exercice de leurs responsabilités ;

 

2. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ;

 

3. De permettre aux services de police d’exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements, pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. »

2. Article II

L’article 2 énumère les informations concernées : « informations ayant trait à l’état civil et à la profession ; adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ; signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ; titres d’identité ; immatriculation des véhicules ; informations fiscales et patrimoniales ; déplacements et antécédents judiciaires ; motif de l’enregistrement des données ; données relatives à l’environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle. » Par renvoi à l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, il est encore précisé que « Les données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci » sont incluses dans les informations centralisées via EDVIGE.

Ainsi, un grand nombre de renseignements concernant les personnes âgées de plus de 13 ans susceptibles de porter atteinte à l’ordre public pourront être collectées et conservées par l’Etat. Cette mesure est clairement une réaction aux différentes émeutes et autres rassemblements ayant mal tourné et dont les sanctions n’ont pu être pleinement prises en l’absence d’identification des « perturbateurs ».

L’objectif est donc clairement de permettre aux forces de l’ordre d’identifier aux fins de poursuites judiciaires ces personnes qui menacent la tranquillité et l’ordre publics. Le débat est vif depuis l’annonce de l’entrée en vigueur de ce dispositif, moins par rapport aux informations elles mêmes, que par rapport aux maigres précautions prises par le décret quant à leur collecte d’abord, et à l’utilisation qui pourra en être faite ensuite.

Il faut tout d’abord souligner que le décret vise toutes les personnes physiques, autres que politiques syndicales ou publiques, « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». L’ordre public, mentionné à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, recouvre « le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique ». Cette notion est particulièrement bien cernée par le Conseil Constitutionnel : « le « cœur » de cet ordre public (au sens strict du terme) me semble être le principe de la « sûreté » garantie par la Déclaration de 1789 : il n’est pas de liberté possible dans une société où les individus craignent pour la sécurité de leur personne. ». L’ordre public est donc nécessaire à l’exercice des libertés fondamentales. Il s’agit donc toujours de trouver l’équilibre le plus juste entre les deux notions, afin que les libertés soient effectives et que l’ordre public soit maintenu. Le fichier EDVIGE a donc pour finalité l’identification des personnes portant atteinte à cet ordre public grâce à une collecte en amont concernant toutes les personnes qui ont un jour été susceptibles de le faire. C’est là toute la difficulté posée par le texte. Alors qu’aucune voie ne s’élève contre le fichage des anciens délinquants sexuels, il n’en irait pas de même si l’on fichait toutes les personnes dont les goûts, l’appartenance religieuse, l’orientation sexuelle etc. laisseraient à penser qu’un jour éventuellement ils puissent le devenir. Il en est de même ici. En effet, beaucoup de gens sont « susceptibles » de porter atteinte à l’ordre public, puisque cette notion même n’est pas clairement définie et dont les contours demeurent flous.

3. Interprétation du projet de loi

Il semble donc que le point crucial tienne dans l’interprétation de cette notion d’abord, et des informations collectées ensuite. En effet, le déclenchement du fichage d’une personne n’est pas une infraction, puisqu’un contrôle d’identité au cours d’une manifestation mouvementée pourrait suffire, mais une présomption d’éventuelle culpabilité. La présomption d’innocence, pivot de notre Etat de droit, est donc renversée. Il aurait donc été nécessaire d’encadrer plus strictement cette notion. C’est d’ailleurs ce que la CNIL, dont l’avis n’est que consultatif, a fait remarquer.

Ensuite, les informations collectées seront à la disposition des forces de l’ordre. Mais si l’archivage des adresses et autres coordonnées sont utiles à une enquête de quelque nature que ce soit, les informations quant aux opinions religieuses, philosophiques, politiques ou les orientations sexuelles sont peut être la porte ouverte aux préjugés. En effet, la recherche d’une personne et une enquête sur cette même personne ne nécessite pas de connaître ses goûts personnels. Inquiéter une personne sur le fondement de ses opinions politiques par exemple serait préjuger de sa culpabilité. Par exemple, ce serait de dire qu’une personne dont les opinions politiques sont proches de l’anarchisme qu’elle est de ce fait probablement capable de dégrader des lieux ou objets symboles de l’Etat au cours d’une manifestation, alors même qu’il se peut que ce soit une personne dont rien ne laissait présager qu’elle soit capable d’un tel acte.

 

Enfin, le dernier point sensible de ce fichier concerne les mineurs. La CNIL a émis une recommandation quant à l’âge minimum, qui selon elle devrait être de 16 ans, et non de 13 ans. De plus, rien n’est prévu dans le texte quant à la destruction des informations. Plus particulièrement concernant les mineurs, il ne serait pas normal de lui opposer vingt ans plus tard qu’il a été sympathisant d’une quelconque tendance politique, alors même que cette personne avait oublié ses idéologies de jeunesse, alors même qu’un éventuel casier judiciaire du temps de sa minorité aura été effacé à sa majorité et donc oublié de tous. C’est donc le droit à l’oubli, au changement qui est ici atteint si rien n’est modifié à ce propos.

 

Il a été demandé au Ministre de l’Intérieur de modifier le texte et de proposer une nouvelle version, plus satisfaisante au regard des recommandations et souhaits de la CNIL et des opposants à ce fichier. Il reste donc à voir ce qui sera fait dans les prochaines semaines. Enfin, le Conseil d’Etat a reçu plusieurs requêtes concernant ce fichier et devrait rendre une décision en décembre.

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Journaliste de formation, j'occupe actuellement la fonction de rédacteur au sein du réseau des sites Internet de services aux entreprises du groupe Libbre. Je peux justifier d'une expérience de six ans dans la presse quotidienne angevine au sein de trois quotidiens : la Nouvelle République, Ouest-France puis le journal majoritaire en Maine-et-Loire : le Courrier de l'Ouest (2007-2009).

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